A la derive

À la dérive / Installation vidéo / 1 h 40 / 2025

Vers un territoire imaginaire posthumain : intelligence artificielle et mémoire des lieux

Dans une démarche expérimentale mêlant création artistique et intelligence artificielle, l’installation vidéographique de Germain Huby invite à l’exploration contemplative d’un territoire imaginaire. Sur une carte noire constellée d’îlots blancs reliés par un maillage dense, un point rouge chemine lentement, tel un satellite errant ou un souvenir à la dérive. Une voix égrène, à cadence régulière, des noms de lieux réels ou fictifs, entre mémoire collective et mythologie universelle : Tchernobyl, Aldébaran, Métropolis, Ground Zero, Odessa…



Mais qui parle ici ? Et qui voyage vraiment ?


À l’origine du projet, une cartographie conçue par l’artiste, inspirée explicitement de la structure neuronale d’une IA — un cerveau fictif, comme support à une exploration. À cette carte s’ajoute la demande de l’artiste à l’IA : générer près de 800 toponymes issus de champs culturels et scientifiques variés, puis tracer un itinéraire aléatoire en disposant les noms tout au long de ce parcours, comme autant de balises narratives. Ce tracé fictif, erratique et chargé de sens, a donné naissance à une géographie alternative, une exploration virtuelle des méandres de la mémoire, de la culture et de la pensée machinique.


Par ce voyage confié à la machine, l’IA ne se contente plus de nommer : elle choisit. Elle trace sa propre route. Elle explore. Elle s’approprie un territoire qui n’est pas le sien et propose sa propre lecture du monde.


À mesure que résonnent ces toponymes chargés d’histoire, le spectateur devient à son tour voyageur à bord de son vaisseau — caravelle, aéronef, engin spatial. Cette simulation de navigation évoque formellement l'exploration des territoires inconnus, qu'ils soient géographiques, scientifiques ou numériques. Mais au-delà de l’expérience immersive, l’installation se déplace sur le champ de l’introspection. Chaque toponyme mentionné suscite une projection mentale personnelle, réveillant une mémoire intime de souvenirs, d’images ou de sentiments associés à ces lieux. Cette expérience transforme la cartographie en un miroir qui reflète l'univers intérieur du spectateur, enrichissant ainsi l'interaction entre l'œuvre et celui qui la contemple.


Le dispositif met en tension cette mémoire humaine et la capacité d’une intelligence artificielle à saisir la charge émotionnelle des toponymes qu’elle énonce. Au cœur de l’œuvre une question fondamentale émerge : celle du sens et de l’affect. Que devient la mémoire des lieux lorsque leur évocation est confiée à une entité non humaine ? Une intelligence artificielle peut-elle éprouver quelque chose qui s’apparente à une émotion, ou son rapport au monde demeure-t-il strictement computationnelle — un jeu d’imitation sans intériorité, sans dimension sensible ?


Ici, il ne s’agit pas seulement d’une dérive poétique dans un monde imaginaire : c’est une expérience la mémoire humaine croise la logique d’un système qui, tout en nous imitant, trace ses propres trajectoires une dérive algorithmique à travers les ruines d’un savoir recomposé.


Et si, au-delà de cette topographie inédite, l’IA poursuivait seule son odyssée, que resterait-il de nos lieux, de nos souvenirs, de notre présence au monde ?


Cette proposition n’apporte pas de réponse définitive. Elle esquisse une forme d’errance, un récit suspendu, un paysage mouvant d’un imaginaire en devenir.


Extraits vidéo 












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