Métro Boulot Boulot / Bande dessinée / 56 pages / 2022

Texte, dessin et couleur : Germain Huby
Éditeur : Delcourt / Collection Pataquès 

Parution : Septembre 2022

Métro Boulot Boulot explore avec humour le monde du travail tel qu’il s’invente aujourd’hui et tel qu’il existera peut-être demain : des premiers vœux de l’enfance jusqu’à la retraite, en passant par les métiers passion, les boulots alimentaires et les nouvelles pratiques à l’ère du numérique, de l’uberisation et de l’automatisation.

Après Le Bruit des Mots et Vivons Décomplexés, Germain Huby poursuit avec son humour acerbe et décalé son œuvre de décapage de la société pour décortiquer ici notre relation au travail teintée d’absurde et de sado-masochisme.



Le monde du travail est un sujet riche, complexe et inépuisable. Dans ce nouvel album, je l’aborde par le vécu des individus, parfois mes propres expériences ou en observant les grandes mutations économiques et technologiques de notre époque. Si elle parle de nos comportements, cette bande dessinée est aussi un prétexte à des réflexions plus sociétales ou morales.

Dès l’enfance, la question se répète dans les oreilles des bambins : « qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ? » Sous-entendant un seul modèle possible de structuration, d’épanouissement et de réussite par une activité rémunérée. Les réponses trop passionnées et pas assez valorisantes ou rémunératrices se retrouvent très vite recadrées par des parents eux-mêmes très formatés. Combien d’enfants ont vu leurs projets retoqués et réorientés vers une carrière d’avocat ou de médecin alors qu’ils rêvaient d’être pompiers, acteurs ou pâtissiers.

Mes premières planches taquinent avec humour ces parents parfois frustrés par leurs propres parcours et qui projettent sur leur progéniture un modèle d’ascension sociale rigide, stressant, compétitif et souvent, au final, peu gratifiant.


Et puis comment donner envie d’enchaîner des années d’études laborieuses à ces futurs travailleurs et travailleuses quand dans leurs téléphones portables, les réseaux vantent à longueur de journées la réussite par la simple exhibition de soi et de l’intime, à coup de filtres Instagram. Même constat du côté des télé-réalités où nul ne sert d’avoir fait le conservatoire pour faire carrière. La médiocrité est un spectacle plus rentable que l’exigence et la patience, les excès plus captivants que la nuance.

Dès lors, comment ne pas succomber à ces modèles de réussite qui s’agitent sur nos écrans via les influenceurs et influenceuses ? Or, il y a très peu d’élus à cette loterie du « parti de rien ».

C’est tout le paradoxe des sociétés capitalistes que de vouloir des êtres pulsionnels, inépuisables consommateurs dotés de pouvoir d’achat et de l’autre des individus disciplinés, résignés et frustrés par la réalité de leurs existences.

Les ultra-riches, eux, décomplexés, ne se cachent plus et exhibent à coup de millions et de milliards leur train de vie luxueux et leurs projets démesurés les plus controversés. Ils dictent aux politiques la marche à suivre, quitte à casser les modèles sociaux existants. L’uberisation tant plébiscitée par Emmanuel Macron à travers la start-up nation n’en finit pas de mettre à mal les acquis du salariat et du service public. Les travailleurs de ces plateformes numériques sont précarisés, leur couverture sociale est quasi inexistante et les rémunérations fluctuent en fonction des algorithmes. La mise en concurrence est rude et le contrôle par les outils numériques omniprésent. Les clients participent de cette pression par les évaluations en ligne, alors que de l’autre côté ce sont leurs données numériques qui sont collectées, revendues et exploitées.


Ces start-up ou licornes n’en finissent plus de transformer en marchandises tout ce qui fait notre humanité et nos liens sociaux, le plus souvent en jouant un simple rôle d’intermédiaire qui détourne les besoins, les désirs, les moyens et la force de travail de ses utilisateurs. Tout y passe : l’amour, la sexualité, la santé, le sport, l’art, la restauration, le logement, les déplacements, les loisirs... Tout est capté en permanence pour le profit de quelques-uns.

Il ne s’agit pas de rejeter les outils, ni les services, ni les compétences déployées qui sont le plus souvent très utiles, voir d’intérêt public pour certains, mais de ne pas les laisser aux seuls intérêts privés. Dans ma BD, j’aborde ces phénomènes par des situations absurdes qui témoignent des scènes ubuesques de notre quotidien inscrites dans un fonctionnement global plus complexe. Il n’est pas impossible à Paris de voir un sans-papier étranger vendre une tour Eiffel souvenir à un touriste chinois dans le pays duquel elle a été fabriquée.

Alors qu’en est-il de notre relation au travail ? Selon une étude IFOP pour la Fondation Jean Jaurès, en 1990, 60% des français jugeaient le travail « très important » alors qu’ils ne sont plus que 24% dans ce cas aujourd’hui. Les faibles rémunérations, la surcharge de travail et le mal-être sont les premières raisons invoquées. Plus de 40% mettent en avant la famille et les loisirs dans leurs priorités. Les entreprises se mettent donc en quatre pour motiver leurs salariés, à coup de cafés gratuits, de baby-foots ou d’afterworks le soir entre collègues. Mais c’est souvent la perte de sens qui dépassionne les employés, qui se retrouvent à faire des tâches aliénantes et inutiles, les fameux bullshit jobs, sans compter le rejet des valeurs prônées par des entreprises ultra-compétitives, patriarcales et peu écologiques. La crise du COVID a reconfiguré les priorités pour un grand nombre d’actifs. Les jeunes diplômés des écoles d’ingénieurs eux-mêmes s’insurgent contre le modèle traditionnel d’insertion professionnelle vanté par leurs écoles et affichent leurs convictions écologistes (exemple à la cérémonie de remise des diplômes d’AgroParisTech, en 2022). Le greenwashing utilisé par les entreprises pour redorer leur image en matière d’environnement ne trompe plus personne. Les technologies et les start-up ne sauvent rien d’autre que le capitalisme.

Cela donne des remises en question importantes, plus de 523 000 salariés (dont 469 000 en CDI) ont quitté leur poste au premier trimestre 2022 en France, du jamais-vu depuis 2008. Aux États-Unis, le terme Big Quit, désigne les 4,5 millions de personnes par mois qui quittent leur travail. Le plus souvent, la majorité retrouve un emploi en entreprise et en profite pour imposer ses conditions. D’autres créent leur propre entreprise, se lancent dans le coaching ou décident de parcourir le monde à pied ou à vélo pour s’affranchir des contraintes et retrouver leur liberté, alors-même qu’ils rendent des comptes sur les réseaux sociaux quasiment en temps réel.

Et puis le travail c’est aussi les collègues et leurs névroses, leurs hygiènes à géométrie variable, leurs sales caractères, leurs goûts douteux, leur misogynie ou leurs convictions politiques à l’opposé des vôtres, bref tout ce qui pourrit la vie huit heures par jour et parfois même jusque dans le sommeil. D’ailleurs, faut-il rémunérer les nuits d’insomnie provoquées par le travail ? Un journaliste qui se met dans la peau d’un caniche royal fait-il vraiment de l’investigation ? Est-ce que les ouvriers prennent éhontément la place des robots dans les usines ? Est-ce que la lutte des classes peut se faire en spammant la boîte mail de son DRH ? Est-ce que les salariés de Pôle Emploi sont des emplois fictifs ? Est-ce qu’on peut devenir coach de vie quand on a raté sa carrière ? Les conseillers d’orientation ont-ils été bien orientés ? Et enfin, y a-t-il une vie après le travail ?

Voici quelques questions auxquelles je tente de répondre, avec application et parfois beaucoup de dérision, dans Métro Boulot Boulot.